Affaire Benalla : les manœuvres de l’Elysée se retournent contre Macron

De négligences en omissions, de dissimulations en contrevérités, le pouvoir fait feu de tout bois pour empêcher que soit connue la vérité sur l’affaire Benalla.

Les sénateurs de la commission des lois ont longuement interrogé le 21 janvier l’ancien chargé de mission de l’Elysée pour tenter d’obtenir des réponses aux questions que tout le monde se pose. A savoir : comment et pourquoi Alexandre Benalla a-t-il pu utiliser des passeports diplomatiques alors qu’il n’avait plus de fonction à l’Elysée ? Pourquoi ne lui a-t-on pas demandé de rendre le téléphone de service ultra sécurisé Teorem ? Qu’est-il allé faire en Israël, au Maroc, et au Tchad notamment où il a été reçu par le chef de l’Etat en décembre une semaine avant la visite d’Emmanuel Macron dans ce pays ? A ces questions précises, l’ancien chef de cabinet adjoint de l’Elysée, licencié fin juillet 2018, a refusé de répondre au prétexte que la justice était saisie de l’affaire et qu’une information était ouverte par le parquet.

Une manière de faire un joli pied de nez à ces sénateurs un peu trop curieux dont l’obstination à vouloir connaître la vérité agace passablement l’Elysée. Qu’y a-t-il donc de si important à nous cacher ? On se souvient que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale avait été torpillée au bout d’un mois par sa présidente Yaël Braun-Pivet (Lrem). Faut-il rappeler les mises en garde adressées par la ministre de la Justice Nicole Belloubet à la commission d’enquête du Sénat contre « l’empiétement sur le judiciaire » ? Les nouvelles révélations du Canard enchaîné (16/01/2019) sur « l’oubli » par l’Elysée de réclamer à l’ex chargé de mission les « outils » qu’il utilisait lorsqu’il exerçait ses fonctions auprès de Macron ont relancé l’affaire.

A chaque audition l’étau s’est resserré un peu plus sur l’actuel locataire de l’Elysée. Et les efforts de ses collaborateurs pour tenter de lui sauver la mise n’ont fait que jeter un peu plus le discrédit sur l’exécutif. Ainsi Patrick Strzoda, son directeur de cabinet, cuisiné le 16 janvier et pour la deuxième fois par la commission d’enquête soupçonne-t-il l’ancien collaborateur d’avoir falsifié un document pour obtenir un passeport diplomatique.

Empêtré jusqu’au cou

Une accusation grave qui a justifié à ses yeux la saisine du procureur de la République. Mais à l’Elysée on prend son temps. Alors que le directeur de cabinet a indiqué quelques instants plus tôt aux sénateurs avoir eu connaissance de l’existence de ce passeport de service délivré par le ministère de l’Intérieur en juillet, puis de l’existence du document réputé faux « dans le courant de l’automne » il a attendu, tenez-vous bien, le matin de son audition pour déposer plainte. Un manque de réactivité qui ne s’explique que par l’embarras dans lequel se trouve Macron empêtré jusqu’au cou dans cette affaire.

Une plainte déposée d’ailleurs, remarquons-le, cinq jours seulement avant l’audition de Benalla par la commission d’enquête sénatoriale. « Est-ce que c’est précisément pour l’empêcher de répondre au Sénat ? » s’inquiète Marine Le Pen. Au fil des auditions on découvre l’incroyable force d’inertie déployée par l’Elysée pour protéger Benalla. Alors que tout collaborateur du chef de l’Etat est tenu, comme il s’y est engagé par écrit en prenant ses fonctions, de restituer à son départ passeports, téléphone portable, cartes de cabinet, son épinglette macaron « présidence de la République » et surtout un pin’s tricolore, rien de tel pour l’ex-chargé de mission.

En dépit des courriers recommandés envoyés par le ministère des Affaires étrangères lui demandant la restitution de ses passeports diplomatiques, Benalla fait la sourde oreille. Une absence de réaction qui conduira le ministère à les invalider. Cette « invalidation de document n’avait pas de précédent » confiera Jean-Yves Le Drian à la commission d’enquête. Son ministère attendra néanmoins le 8 novembre pour saisir celui de l’Intérieur dont on apprend à cette occasion « l’incompatibilité entre les bases de données des deux ministères ». Un aveu à peine croyable qui paraît inquiétant pour notre sécurité face à la menace terroriste !

Diplomatie secrète

En attendant Benalla a tout loisir pour se déplacer un peu partout dans le monde et rencontrer nombre de personnalités et de chefs d’Etat. Est-ce uniquement pour son compte personnel que travaille l’ex-gorille de l’Elysée, comme il le prétend, ou pratique-t-il une diplomatie secrète comme le laisse supposer la grande liberté d’action dont il jouit ? Toujours est-il que ce n’est que le 24 décembre 2018, à la suite d’articles de presse, que le ministre des Affaires étrangères se décidera à porter plainte contre lui. Et il faudra attendre le 11 janvier pour que l’avocate de Benalla remette les fameux passeports au ministère de l’Intérieur.

Mis en examen pour « utilisation abusive de ses passeports diplomatiques » – mais pas pour « faux et usage de faux » comme il s’est plu à le souligner devant la commission d’enquête – Alexandre Benalla joue sur du velours en s’abritant derrière l’enquête judiciaire pour ne pas répondre aux questions des sénateurs.

Son audition qui aura duré plus de deux heures n’a pas permis de lever complètement le voile sur cette ténébreuse affaire. Philippe Bas qui préside la commission d’enquête a relevé « beaucoup d’invraisemblances » et de « contradictions » dans le dossier. Il a aussi estimé que la question d’une éventuelle « protection » de l’ancien collaborateur du chef de l’Etat n’était pas « résolue complètement ». A noter d’ailleurs que Benalla, bien qu’officiellement lâché par l’Elysée, n’a jamais eu de paroles désagréables à l’égard de Macron. Au contraire, il lui a « souhaité de réussir ». Les deux hommes ne sont-ils d’ailleurs pas resté en contact jusqu’au 24 décembre dernier, selon les dires de Benalla ?

Saura-t-on un jour la vérité dans cette affaire ? C’est « un mensonge d’Etat » juge François Grosdidier, l’un des membres de la commission d’enquête sénatoriale. Les sages de la haute assemblée vont devoir maintenant faire la synthèse des auditions menées depuis six mois. « On a du pain sur la planche » a lâché Philippe Bas. Les conclusions du rapport ne sont pas attendues avant plusieurs semaines.