De quel mal souffre notre pays ? Réputés râleurs, insolents, voire frondeurs vis-à-vis du pouvoir, les Français semblent aujourd’hui résignés, fatigués, comme s’ils avaient été anesthésiés.
Ils auraient pourtant mille raisons de manifester leur mécontentement avec la crise de l’énergie, la hausse des carburants, l’inflation galopante, l’insécurité, l’âge de la retraite, les salaires pas assez élevés… or, rien de tout cela ne les fait descendre dans la rue. Jean-Luc Mélenchon et la Nupes en ont fait l’amère expérience avec la « marche contre la vie chère » du 16 octobre. Le fondateur de la France insoumise voulait réunir « le peuple contre Macron » mais la mobilisation n’a pas été au rendez-vous. La démonstration de force annoncée a réuni moins de 30 000 participants. Un fiasco ! La journée nationale d’action syndicale organisée trois jours plus tard pour une revalorisation des salaires dans la fonction publique n’a pas eu non plus le succès attendu par les organisateurs. On était loin du « mardi noir » annoncé !
Ce phénomène de désaffection n’est pas nouveau. Depuis quelques années les Français sont dans l’expectative. Ils ne croient plus aux gréves et aux manifestations de rue pour améliorer leur sort. Tout comme ils n’attendent rien du politique, tant ils ont été déçus par les promesses qui leur ont été faites tant par la gauche que par la droite. Les chiffres croissants de l’abstention en témoignent. Quand « le peuple ne se sent plus représenté par ses élites qui s’accrochent à leur pouvoir et à leurs privilèges… alors il fait sécession » observe dans son essai L’ère des soulèvements* Michel Maffesoli. Le sociologue défend l’idée qu’à la faveur de la crise sanitaire « la Caste » essentiellement politique et médiatique a seriné un refrain anxiogène destiné à « mettre au pas un peuple toujours prompt à se rebeller » en jouant sur la peur de la mort.
Totalitarisme doux
Force est de constater que les Français, dans leur grande majorité, se sont pliés, plus ou moins docilement, aux consignes gouvernementales en se faisant vacciner contre la Covid 19. Ils ont accepté la mise en place d’un « totalitarisme doux » restreignant nombre de libertés afin de pouvoir se rendre au restaurant ou voyager en Europe en présentant un pass vaccinal à jour. « Les Français sont des veaux » disait De Gaulle. Un jugement qu’il portait sur ses compatriotes durant la guerre mais qu’il ne renierait certainement pas aujourd’hui. Les Français sont connus pour être râleurs. Ils râlent mais finalement acceptent leur situation. Leurs préoccupations ne sont plus aujourd’hui collectives, mais individuelles. C’est le règne du chacun pour soi. Il est vrai que les perspectives d’un avenir qui s’annonce incertain, l’absence d’ambition de nos gouvernants pour le pays, et l’inquiétant vide intellectuel de l’époque les poussent à s’occuper d’eux, de leur famille, de leur intérieur, de leur confort plus que du bien commun.
Le mouvement insurrectionnel des Gilets jaunes n’aura-t-il été qu’une parenthèse, l’expression spontanée d’un « ras-le-bol » populaire suite à la hausse de la taxe sur les carburants, la fameuse TICPE ? On peut en douter. Le mal dont souffre notre pays est bien plus profond. Les Français qui sont pourtant parmi les plus imposés au monde ont le sentiment « de ne pas en avoir pour leur argent ». Tout particulièrement ceux des zones rurales et de cette France périphérique dont parle le géographe Christophe Guilluy se sentent abandonnés par l’Etat. Ils ont le sentiment que seules les grandes métropoles bénéficient de l’attention des pouvoirs publics alors qu’ils assistent à la disparition progressive des services publics dans les petites villes pour des raisons d’économies budgétaires. Une France à deux vitesses. Une fracture qui ne cesse de s’aggraver au fil des années avec l’augmentation actuelle du prix des carburants. Un sentiment de frustration qui s’est traduit dans les urnes aux dernières législatives par un vote massif des électeurs ruraux pour le Rassemblement national. Une colère sourde qui peut rejaillir d’une manière tout aussi spontanée qu’avec la crise des gilets jaunes et pour les mêmes raisons.
Car rien n’a été réglé sur le fond. Le mouvement des Gilets jaunes qui a démarré à la mi-novembre 2018 a été stoppé en mars 2020 suite au premier enfermement consécutif à la pandémie de la Covid 19. Les causes profondes du malaise n’ayant pas trouvé leur solution, tout laisse à penser qu’il peut resurgir sous une forme ou sous une autre. Didier Lallement, l’ancien préfet de police de Paris s’en inquiète. Dans l’ouvrage L’ordre nécessaire* qui vient de paraître il voit se développer un « climat de violence » dans le pays. Il est convaincu que le second quinquennat Macron sera sérieusement menacé par la rue. « La colère couve » écrit-il. Une colère due à « l’irrésistible ascension du coût de la vie ». Parole d’expert !
* L’ère des soulèvements, Michel Maffesoli chez Mare Nostrum.
* L’ordre nécessaire, Didier Lallement chez Robert Laffont.