Quand les politiques, tout comme les intellectuels, se trompent, ils ne font que très rarement leur mea culpa.
« Errare humanum est, perseverare diabolicum ». Cette locution latine que l’on attribue généralement à Sénéque est connue de tout un chacun. Seuls les politiques semblent l’ignorer. L’erreur est humaine, mais persévérer dans l’erreur est diabolique. Ainsi, est-il plus grave de ne pas apprendre de ses erreurs que d’avoir commis la faute morale initiale. On ne demande pas à nos gouvernants de battre leur coulpe en public, mais juste de faire preuve d’un minimum d’honnêteté. La politique a ses exigences. Les élites, à fortiori les ministres, ont le devoir de se montrer exemplaires. Ils se doivent d’être respectables s’ils veulent être respectés. Ce qui est loin d’être le cas dans notre beau pays.
La pitoyable soirée du 28 mai où des scènes de chaos se sont produites aux abords du stade de France à Saint-Denis en offre la triste illustration.
Comment expliquer un tel fiasco ? Une telle désorganisation du dispositif de maintien de l’ordre ? Au lieu d’assumer et de prendre ses responsabilités, Gérald Darmanin a préféré travestir la vérité. Les débordements seraient dûs, selon lui, au fait que 35 000 supporters britanniques de plus que la jauge prévue soient venus assister au match munis de billets falsifiés ou même sans billet. Une version qui témoigne d’une incroyable cécité. Le ministre de l’Intérieur ne met à aucun moment en cause les hordes d’énergumènes venues pour attaquer et dépouiller les fans qui se pressaient aux entrées du stade pour assister à la finale de la ligue des champions opposant Liverpool au Real Madrid. Pourtant, ainsi que le montrent les reportages télévisés, ceux qui ont été interpellés ce soir-là par la police avaient davantage le profil des « jeunes » venus des quartiers voisins que de sujets de sa gracieuse majesté.
Une évidence que le ministre de l’Intérieur a refusé de reconnaître publiquement. Même les sénateurs n’ont pas réussi à faire évoluer son discours. « On reste sur notre faim » a expliqué Jean-Pierre Sueur, sénateur (PS) du Loiret, tandis que Jacqueline Eustache Brinio sénatrice (LR) du Val d’Oise s’indignait au micro de Boulevard Voltaire : « A toutes les questions posées : pas de réponse. C’est insupportable ! Avec ce gouvernement on est dans le déni, on se voile la face et on va dans le mur ». La commission sénatoriale a tout juste obtenu les excuses du ministre auprès des supporters de Liverpool pour « les grands dégâts, notamment pour les enfants » causés par les gaz lacrymogène utilisés de « façon disproportionnée ». Mais pas de Mea culpa!
Il y a chez les politiques, tout comme chez les intellectuels, un refus de voir. Un aveuglement qui les rend incapables de prendre en considération tout ce qui n’appartient pas à leur système de pensée.
Nul n’est besoin de remonter très loin dans le passé pour trouver des exemples de ces trous de mémoire de nos têtes pensantes. On songe à Nicolas Sarkozy condamné à un an de prison ferme pour le financement illégal de sa campagne présidentielle de 2012. L’ancien président de la République disait tout ignorer du système de surfacturation mis en place par Bygmalion. Il feignait même d’ignorer l’existence de cette société de conseil que tout le monde pourtant connaissait à l’UMP. Nicolas Sarkozy n’était pas à un mensonge prés. En 2014 il avait d’ailleurs été le lauréat du peu enviable « prix du mensonge en politique ». Un prix qui venait tout juste d’être créé… spécialement pour lui sans doute.
Mais c’est l’affaire Cahuzac qui restera le plus gros scandale politico-financier de ces dernières années. Un scandale doublé d’un mensonge. Jérôme Cahuzac, fringant ministre délégué en charge du budget a été condamné le 8 décembre 2016 à trois ans de prison ferme et cinq ans d’inéligibilité pour avoir dissimulé une partie de ses revenus sur un compte secret à l’étranger. L’affaire révélée fin 2012 par Médiapart avait ébranlé le début du quinquennat Hollande. Jérôme Cahuzac, poids lourd du gouvernement Ayrault, incarnait « la ligne de fermeté budgétaire ». En tant que ministre du Budget il était chargé de lutter contre la fraude fiscale. L’accusation de Médiapart était donc particulièrement grave. Cahuzac clamait partout son innocence, y compris devant les députés à l’Assemblée nationale. « Je n’ai jamais eu de compte à l’étranger, ni maintenant, ni avant » osa-t-il affirmer soutenu par le président de la République et tout le gouvernement.
Le 19 mars 2013 pourtant, visé par une enquête pour blanchiment de fraude fiscale, il donnait sa démission du gouvernement après avoir reconnu devant les juges qu’il avait bien dissimulé une partie de ses revenus sur un compte en Suisse qu’il avait transféré ensuite à Singapour. Un vrai coup de tonnerre dans la classe politique qui a débouché sur un renforcement des dispositions légales en matière de transparence et de lutte contre la fraude fiscale. La loi d’octobre 2013 obligera ainsi désormais des milliers de décideurs, notamment les ministres et les parlementaires, à déclarer l’intégralité de leur patrimoine et les éventuels conflits d’intérêt à une nouvelle instance la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). En mai 2018, Jérôme Cahuzac sera définitivement condamné à deux ans de prison ferme- peine aménagée par le port du bracelet électronique- 300 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité.