La victoire des nationalistes en Corse est passée presque inaperçue. Pas un mot à l’Elysée sur ce séisme politique qui est une première dans la vie politique corse. En fusionnant leurs listes entre les deux tours des Régionales, les autonomistes de Gilles Simeoni, le maire de Bastia et les indépendantistes de Jean-Guy Talamoni se sont installés aux commandes de l’Ile de Beauté. Est-ce parce qu’il était trop occupé à essayer par tous les moyens d’empêcher le Front national d’arriver au pouvoir dans les régions que l’exécutif n’a pas vu venir la victoire des nationalistes ? C’est l’hypothèse émise par certains médias. Elle ne nous parait pas convaincante. Nous allons voir pourquoi.
Une véritable provocation
Il a fallu que le nouveau président de l’assemblée de l’Ile, l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni, prononce, jeudi dernier, son discours d’intronisation intégralement en langue corse pour que la classe politique sorte de sa torpeur. Encore que les réactions aient été bien modérées. Et pourtant l’avocat, proche des mouvements nationalistes clandestins n’avait pas fait dans la dentelle. Invoquant Pascal Paoli, le père de l’indépendance de l’Ile en 1755, il a déclaré que « la Corse n’était pas un morceau d’un autre pays, mais une nation, avec sa langue, sa culture, sa tradition politique, sa manière d’être au monde ». Une véritable provocation à l’égard de la République une et indivisible, une insulte à la France qui aurait mérité un sérieux rappel à l’ordre de la part de l’exécutif. Manuel Valls que l’on a connu plus combattif lorsque son autorité est mise en cause a joué l’apaisement. Après avoir téléphoné à Simeoni, il a publié un communiqué dans lequel il promet de maintenir un « dialogue serein, constructif et apaisé » avec le nouvel exécutif insulaire. Seule réaction de fermeté de la part d’un membre du gouvernement, celle de Jean-Marie Le Guen. Le secrétaire d’Etat en charge des relations avec le parlement a martelé : « La République n’a pas l’intention de baisser les bras et la loi sera la même pour tous, y compris en Corse ».
Réactions politiques peu nombreuses
Au niveau des réactions politiques, peu nombreuses au demeurant, à noter celle de l’ancien ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement qui s’est écrié « C’est inadmissible ! » au micro d’Europe 1 évoquant le risque de provoquer « un éclatement de l’espace vital ». Sur RMC Jean-Luc Mélenchon a souligné que « la Corse et la France c’est la même chose ». L’ancien premier ministre François Fillon a estimé, de son côté, que ces paroles « méritent de la part du chef du gouvernement un ferme rappel à la loi et de la part du chef de l’Etat une réaction claire concernant l’unité de la nation française ». Une réaction de l’exécutif qui ne viendra pas et qu’il serait vain d’attendre et cela pour plusieurs raisons. A la fin des années 90, des contacts ont lieu entre Lionel Jospin, alors Premier ministre et les nationalistes corses. Ceux-ci font plusieurs mois durant l’aller-retour entre l’Ile et Paris. A leur tête l’avocat Jean-Guy Talamoni réclame l’enseignement de la langue corse dans les écoles, des transferts de compétence à l’assemblée territoriale ainsi que des mesures économiques en faveur de la Corse. A cette époque, le conseiller en charge de la communication à Matignon s’appelle Manuel Valls et le premier secrétaire du Parti socialiste n’est autre que François Hollande. De ces négociations secrètes sortira une « loi sur la Corse » promulguée le 22 janvier 2002. Elle renforce les compétences de la collectivité territoriale. Mais l’élection de Jacques Chirac marquera la fin du processus.
Une collectivité territoriale unique
C’est dire si les deux têtes de l’exécutif sont au fait des revendications des nationalistes corses. Elles savent aussi que tous ceux qui ont voulu s’attaquer à la complexité du problème de la Corse s’y sont cassés les dents. L’exécutif sait aussi que Simeoni et Talamoni ne sont élus que pour deux ans. En 2018, sera mise en place la collectivité unique qui remplacera les deux actuels conseils départementaux. C’était une revendication des nationalistes corses que la loi Notre (nouvelle organisation territoriale de la république) vient d’acter.
Enfin, la plupart des revendications figurant dans le programme des nationalistes ont déjà été adoptées par l’assemblée de Corse sous la précédente mandature du divers gauche Paul Giacobbi. C’est le cas de l’officialisation de la langue corse à côté du français, de l’instauration d’un régime de résident corse ou de la mise en place d’un statut fiscal spécifique. Mais il y a un problème, car ces mesures qui ne relèvent pas de la compétence de l’assemblée territoriale ont été rejetées par l’Etat, car contraires à la constitution. Il faut donc s’attendre au cours des mois qui viennent à un rapport de force entre les leaders insulaires et Paris. Une partie de bras de fer avec des palabres, des postures et des coups de menton dont il ne sortira pas grand-chose au final.