Deux électeurs sur trois n’ont pas voté. Les raisons d’un fiasco démocratique

Moins d’un électeur sur trois s’est déplacé pour le premier tour des élections départementales et régionales. Un taux d’abstention historiquement bas. Les raisons en sont multiples.

Ceux qui ne sont pas allé voter avaient tous une bonne raison de s’abstenir. En ce dimanche de la fête des pères où l’on pouvait enfin tomber le masque à l’extérieur une odeur de liberté flottait dans l’air. L’humeur était davantage aux retrouvailles familiales ou entre amis qu’aux préoccupations électorales. Autant profiter de ce dernier jour du printemps après un confinement sévère qui avait été si difficile à supporter. Pour certains l’offre était insuffisante. Quel intérêt de voter pour un candidat qui leur est inconnu et dans lequel ils ne se reconnaissent pas ? Sans parler de ceux nombreux, notamment parmi les jeunes qui ignoraient qu’il y avait des élections faute d’avoir reçu la propagande électorale dans leur boite aux lettres.

Pour beaucoup, ces élections regroupées n’avaient pas une grande signification. Qui sait à quoi sert un conseiller départemental ou un conseiller régional ? Seuls les observateurs de la vie politique s’intéressaient à ce rendez-vous électoral scrutant les sondages qui montraient une nouvelle poussée du Rassemblement national. Le parti de Marine Le Pen étant, selon les enquêtes d’opinion, en mesure de remporter une voire plusieurs régions.

Mais ce que n’avaient pas mesuré les instituts de sondage, c’est le fort taux d’abstention à ces élections. Un paramètre qui va fausser totalement les résultats et qui explique notamment la contre performance du RN. L’électorat lepéniste a toujours été le plus mobilisé. Cette fois il a totalement manqué à l’appel. Est-ce une conséquence de la dédiabolisation ? Le Front national de Jean-Marie Le Pen bousculait la vie politique. Pourfendeur du système UMPS il offrait au peuple une alternative aux partis traditionnels. C’est sur cette même ligne que Marine Le Pen a pris la suite de son père à la tête du mouvement. Mais après son échec à la présidentielle de 2017 face à Macron la présidente du FN va opérer de spectaculaires revirements politiques tant sur le fond que sur la forme. Oubliée la candidate du peuple, celle qui fustigeait le système et ses élites, celle qui voulait sortir de l’Europe et revenir à la monnaie nationale. Désormais pour le Front national rebaptisé Rassemblement national il fallait séduire un électorat de droite plus bourgeois, plus européen. La question de la sortie de la France de l’union européenne n’était plus une priorité, pas plus que la sortie de l’euro. Même son discours sur l’immigration et l’islam, thèmes fondamentaux du parti, avait évolué. La religion de Mahomet était devenue « compatible avec la République ». Un virage à 180° qui explique que 72% des électeurs du RN déboussolés par le changement de cap de leur parti aient boudé les urnes dimanche.

Le RN attiédi ne fait pas recette

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec 6 millions d’électeurs aux régionales de 2015, le FN devenait le premier parti de France. Dimanche dernier ils n’étaient que 2,7 millions à avoir voté pour les candidats du RN. Une chute de 10 points en six ans. Le RN attiédi ne fait pas recette. Il ne fait plus rêver ses électeurs.

La faible participation électorale pour ces régionales et départementales, si elle est spectaculaire puisqu’elle atteint le niveau record de 68% d’abstentions, n’est pas pour autant surprenante. Elle s’inscrit dans un processus de désintérêt croissant pour la politique. Quel que soit l’enjeu, les Français se détournent des urnes. Le phénomène avait déjà été constaté l’année dernière pour les municipales avec un taux d’abstention de 58,4%. Du jamais vu dans ce type d’élection. Rappelons qu’il avait été de 36,87 % six ans plus tôt, un niveau jugé très élevé à l’époque.

L’élection présidentielle, pourtant la mère des batailles, ne parvient pas davantage à mobiliser les électeurs. Aux présidentielles de 2017, on avait enregistré 25,44% d’abstentions au second tour(22,23% au premier), le taux le plus élevé pour un second tour depuis 1969. L’abstention avait été respectivement de 16% en 2007 et 19,7% en 2012. Qu’en sera-t-il l’année l’année prochaine ? En l’absence de suspense on peut s’attendre à un nouveau record d’abstentions. Néanmoins, au vu des résultats de ce premier tour des régionales avec la déroute des candidats LREM, l’hypothèse d’un second tour opposant Macron à Le Pen ne parait plus d’actualité. Les responsables politiques doivent réfléchir sérieusement à relancer l’intérêt des Français pour les élections. La question est essentielle. Elle est à la base de la vie démocratique. Quelle légitimité peuvent avoir des candidats élus avec un faible pourcentage de voix ?

Face à cette désaffection du corps électoral, faut-il rendre le vote obligatoire comme le font certains pays européens comme la Belgique, la Grèce, le Danemark ou encore Chypre ? La question n’est pas nouvelle. Plusieurs propositions de loi en ce sens ont été déposées à l’ Assemblée nationale par des parlementaires de gauche comme de droite. Rien à ce jour n’a été décidé. Comment ramener vers les urnes ceux qui s’en sont éloignés ? Avec la crise démocratique que traverse la France et la défiance des citoyens à l’égard des institutions toute contrainte assortie d’une amende serait mal venue. Les Français veulent une démocratie participative et vraiment représentative. Ils réclament plus de démocratie directe. Une revendication qu’avaient exprimé les Gilets jaunes avec le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Le pouvoir n’en a pas tenu compte. Il en paye aujourd’hui le prix.