Fraude sociale : ce que les Français n’ont pas le droit de savoir

Le scandale dure depuis des années et au train où vont les choses il n’est pas prêt de s’arrêter faute de volonté politique.

C’est le terrible constat qu’ont pu faire la sénatrice (UDI) Nathalie Goulet et la députée (LREM) Carole Grandjean chargées fin mai par le Premier ministre d’une mission d’information sur la fraude sociale. « Il n’est pas matériellement possible de procéder à un chiffrage » a lâché la sénatrice en rendant compte devant la presse de ses travaux. Ainsi donc il serait impossible pour l’Etat de connaître le montant, même approximatif, de la fraude aux prestations sociales.

Les chiffres les plus invraisemblables ont circulé quand à l’ampleur de cette fraude. Au début de l’année, Charles Prats, magistrat spécialisé dans la lutte contre les fraudes fiscale et sociale, l’avait estimée à 14 milliards par an. Un chiffre contesté par la commission des affaires sociales du Sénat qui la situait entre 117 et 138,6 millions d’euros. C’est-à-dire 100 fois moins. Mais en juin une nouvelle estimation réévaluait cette fraude entre 290 millions et 1,17 milliard. C’est pour tenter d’y voir plus clair qu’Edouard Philippe avait missionné les deux parlementaires pour une « évaluation robuste et objective du coût pour nos finances publiques de la fraude aux prestations sociales ».

Louable intention, prise dans la foulée du mouvement des Gilets jaunes qui avait enthousiasmé la sénatrice convaincue comme Charles Prats que l’escroquerie aux faux numéros de Sécurité sociale atteignait 14 milliards par an. Mais encore aurait-il fallu donner à cette mission les moyens matériels et techniques nécessaires pour mener à bien ses investigations ! Ce qui n’a pas été le cas, loin s’en faut, comme nous allons le voir.

La première surprise des deux parlementaires a été de découvrir que les fichiers recensant les assurés sociaux, ceux de l’Insee et de la Cnav comptaient 3,1 millions de centenaires « réputés en vie ». Contrairement à l’Insee la caisse nationale d’assurance vieillesse prend en compte les personnes nées à l’étranger qu’elles soient françaises ou non. Or l’on sait que la plupart du temps les actes de décès des ressortissants étrangers ne sont pas transmis aux organismes sociaux. L’histoire des centenaires algériens qui continuent de toucher leurs prestations longtemps après leur mort en est la parfaite illustration.

L’autre surprise de taille a été de découvrir que 11 000 personnes bénéficiaires de prestations sont enregistrées… sans patronyme. Quand à la carte vitale 84 millions sont en circulation alors que la France compte 66 millions d’habitants. Cherchez l’erreur ! Une escroquerie aux faux numéros de Sécurité sociale qui coûte au budget de la Sécu la bagatelle de14 milliards d’euros par an.

Refus de communiquer

Mais la curiosité des deux élues s’est bientôt heurtée à une difficulté imprévue. Le refus de communiquer de la part de certains organismes sociaux. Elles n’ont pas pu connaitre, notamment, le montant des prestations versées aux immigrés. Refuser de répondre aux questions d’une commission d’enquête est une infraction pénale passible d’une amende et d’une peine de prison. Or, des fonctionnaires ont délibérément failli à leurs obligations. Pourquoi ? On peut très facilement imaginer que leur divulgation aurait soulevé un tollé et que dans le climat actuel le pouvoir a donné des consignes de silence aux administrations concernées. C’est d’ailleurs ce qu’il faut comprendre à travers les déclarations de Nathalie Goulet lorsque, pour expliquer les difficultés de mener à bien sa mission, elle parle d’une « impossibilité matérielle » et d’une « inopportunité politique ». Bref ce qui devait être un rapport explosif s’est transformé en pétard mouillé.

Les deux parlementaires se sont prononcées pour une véritable « rupture politique » et ont demandé la prise en compte de recommandations déjà formulées par nombre de rapports d’inspection. Ainsi réclament-elles une expertise complète des fichiers qui recensent les assurés sociaux afin de faire le ménage. Elles souhaitent aussi que les prestations sociales soient obligatoirement versées sur un compte bancaire domicilié en France. Elles veulent surtout que l’administration exige plus de preuves avant d’ouvrir des droits sociaux. Qu’un bénéficiaire ait à fournir chaque année des « preuves de vie » à sa caisse de retraite pour continuer à toucher sa pension et que les cartes vitales soient renouvelées tous les ans. Elles invitent enfin les pouvoirs publics à « sortir du déclaratif » pour « rétablir les contrôles physiques et développer l’usage de la biométrie ».

Système opaque

Autant de préconisations qui risquent de demeurer lettres mortes tant le pouvoir s’obstine à verrouiller le système opaque de la fraude aux prestations sociales. Même la cour des Comptes a dû renoncer à donner des chiffres fiables, dénonçant le fait que la France soit avec l’Allemagne l’un des rares pays européens à ne pas avoir développé d’outils pour évaluer la fraude fiscale. Pire, son président a contredit Gérard Darmanin le ministre des Finances et des comptes publics. Alors que celui-ci se félicitait que la loi anti-fraude votée en 2018 ait permis à l’Etat de récupérer 1,6 milliard de plus que l’année passée, Didier Migaud a souligné qu’au contraire les sommes recouvrées entre 2013 et 2018 avaient chuté de 22% passant de 10 à 7,8 milliards d’euros alors qu’elles avaient augmenté dans d’autres pays européens.

Faut-il s’en étonner quand on apprend que le Comité national de lutte contre la fraude ne se réunit plus et que le poste de délégué national à la lutte contre la fraude est vacant depuis le mois de mai?

A quel jeu malsain joue donc l’exécutif au moment où se creusent les déficits publics ? Comment expliquer ces surprenants renoncements du pouvoir ? Cette incompréhensible lâcheté des politiques face à un problème qui mine depuis longtemps les comptes sociaux de notre pays ? Pour vider l’abcès Jean-Paul Garraud, président de l’association professionnelle des magistrats a décidé de se tourner vers la justice(vidéo ci-dessous). Cet ancien député UMP qui siège désormais au parlement européen sous l’étiquette du Rassemblement national n’hésite pas à parler de « scandale d’Etat ». Il a saisi le procureur du parquet national financier pour « détournement de fonds publics ». La Justice pourra-t-elle briser le mur du silence sur la question de la fraude aux prestations sociale ? Affaire à suivre…