Il est des images qui sont terribles. Insupportables ! Celles d’un homme qui git à terre, le visage ensanglanté et qui souffre. Il vient d’être touché par un projectile tiré par un policier lors d’une manifestation.
La scène ne se déroule pas en Egypte, ni dans la bande de Gaza, mais en France. Dans ce pays qui est, dit-on, la patrie des droits de l’Homme. Et le blessé allongé au sol autour duquel s’activent des secouristes bénévoles est un citoyen français. Grièvement blessé à la face par un tir de LBD 40 il risque de perdre un œil. Jérôme Rodrigues, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est tout le contraire d’un casseur, d’un excité. Cet homme de 40 ans, aisément reconnaissable à sa barbe broussailleuse poivre et sel et au feutre noir vissé sur la tête, est une figure médiatique des Gilets jaunes parisiens. Pacifiste convaincu il n’a pour toute arme que son smartphone. Est-ce pour cela qu’il a été pris pour cible samedi dernier à la Bastille alors qu’il filmait une manifestation, pourtant autorisée, au moment de sa dispersion ?
Bavure ou pas, l’enquête ouverte par l’IGPN devrait pouvoir le déterminer. Toujours est-il que ce grave incident donne l’occasion de s’interroger sur les conditions d’utilisation du LBD 40, cette arme de précision plus puissante que le Flash-ball qu’elle a remplacé. Selon les manuels d’instruction, les forces de l’ordre ne doivent recourir au lanceur de balles de défense qu’« en cas d’absolue nécessité » et « de manière strictement proportionnée ». Ses utilisateurs ont l’obligation de ne pas tirer au-dessus des épaules ni à moins de 10 m de la cible. Ce qu’a rappelé récemment Eric Morvan, patron de la police nationale en précisant dans une note à ses troupes que « le tireur ne doit viser exclusivement que le torse ainsi que les membres supérieurs ou inférieurs ».
Mutilés à vie
Un rappel rendu nécessaire vu l’effrayant bilan humain des manifestations qui se succèdent tous les samedis depuis le 17 novembre. Plus de 3 000 blessés au total pour toute la France, dont près de 2 000 chez les seuls Gilets jaunes, auxquels il faut ajouter les 11 morts, victimes collatérales de cette insurrection populaire. Du jamais vu en France depuis très longtemps. D’autant qu’une centaine de ces blessés sont mutilés à vie. Ils ont subi la perte d’un œil, ont eu une main arrachée ou la mâchoire fracassée par un tir de cette arme redoutable qu’est le LBD 40 qui projette des balles en caoutchouc semi-rigide capables de déformer la carrosserie d’une voiture.
Des blessés qui, pas plus que Jérôme Rodrigues, n’avaient le profil de casseurs. Ainsi Jean-Marc Michaud, cet horticulteur de Charente-Maritime, dont le côté droit du visage a été défoncé par un tir de LBD 40, Olivier Béziade, pompier volontaire girondin, victime d’une hémorragie cérébrale après avoir été touché à la tête et qu’il a fallu placer en coma artificiel, Fiorina, une étudiante picarde de 20 ans qui a perdu l’usage de son œil gauche le 8 décembre dernier sur les Champs-Elysées, ou encore ce jeune militaire en permission blessé le 26 janvier vers 22h30 à Montpellier alors qu’il sortait avec des amis d’un restaurant pour se rendre en boite de nuit.
Chaque samedi de nouveaux blessés viennent allonger cette liste trop longue de victimes innocentes. Une véritable hécatombe qui ne semble guère émouvoir ceux qui font habituellement profession de s’indigner. Qu’il s’agisse des milieux intellectuels ou d’organisations droits-de-l’hommistes qu’on a connues plus à l’écoute des victimes de supposées violences policières dès lors qu’elles se produisaient dans les banlieues. Il est vrai que les Gilets jaunes ne sont que des Français modestes, provinciaux pour la plupart. Des « gens d’en bas » qui ont en plus le gros défaut d’être patriotes. Autant dire qu’ils ne sont pas dignes d’intérêt !
Droit de manifester
Si la question de l’utilisation du LBD 40 se pose compte tenu de sa dangerosité, il convient aussi de s’interroger sur les conditions de son utilisation. Car cette arme dont Jacques Toubon, le Défenseur des droits, a demandé l’interdiction doit normalement permettre aux policiers de se défendre face à des manifestants violents. Or, et contrairement à ce que prétend le secrétaire d’Etat Nunez, nombre de vidéos montrent des membres des forces de l’ordre tirer sur des hommes ou des femmes qui n’ont eu que le tort d’être présents sur le lieu de la manifestation, sans même y participer parfois. Ce qui pose désormais la question du droit de manifester en France.
Le pouvoir a beau dire et prétendre le contraire, les faits montrent qu’il utilise les forces de l’ordre contre la liberté reconnue à chaque citoyen de pouvoir manifester. Sous prétexte de s’en prendre aux casseurs, Castaner donne carte blanche aux policiers et aux gendarmes pour disperser, au besoin par la force, les rassemblements de Gilets jaunes. Une violence qui aura pour effet d’intimider les moins motivés en les dissuadant de venir manifester avec les risques que cela comporte, mais à l’inverse de pousser les autres à la radicalisation et à l’affrontement afin de les discréditer aux yeux de l’opinion. Un calcul malsain, irresponsable et particulièrement dangereux. Que se passera-t-il, si un manifestant trouve la mort suite à un tir tendu ? Est-ce cela que le pouvoir cherche ?
Le syndrome Malik Oussekine – du nom de cet étudiant de 22 ans frappé à mort par des policiers en décembre 1986 à Paris en marge d’une manifestation contre un projet de réforme universitaire – est encore présent dans la mémoire de tous les responsables politiques. Il a paralysé l’action des ministres de l’Intérieur successifs jusqu’à Gérard Collomb.
Stratégie d’évitement
On se souvient de la manifestation du 1er mai 2018 à Paris qui avait rassemblé 14 500 personnes dont 1 200 black blocs. Ces derniers avaient dans l’impunité totale dégradé ou détruit une trentaine de commerces. Collomb avait expliqué l’absence de réaction des forces de l’ordre à ces désordres par la « volonté d’éviter le contact physique pour éviter les blessés des deux côtés ». C’était l’application de la stratégie d’évitement en cours jusqu’à présent qui consistait à repousser le plus tard possible le contact avec les manifestants. Et de fait il n’y eut ce jour là que quatre blessés légers dont un CRS.
Castaner, lui, n’a pas la même vision en matière de stratégie de maintien de l’ordre, ni les scrupules de son prédécesseur. Pour lui pas question de renoncer pour l’instant au LBD 40, même si la France est le dernier pays en Europe à l’utiliser. Au contraire il a passé, fin décembre, une commande pour 1 280 exemplaires supplémentaires. Autant dire que le pouvoir prend le risque d’une escalade de la violence. Car que se passera-t-il demain si les Gilets jaunes s’arment de fusils de chasse ? Au lieu de prôner la stratégie de la désescalade pour faire baisser la tension, comme cela se fait dans tous les pays démocratiques, le pouvoir ne fait qu’attiser la colère. A force de jouer avec le feu les apprentis sorciers en charge de notre sécurité risquent d’enflammer le pays. Il serait temps qu’ils en prennent conscience !
8 comments on “Gilets jaunes: Castaner, il faut d’urgence arrêter ce massacre!”
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