Liberté d’expression : bientôt un nouveau tour de vis

Parait-il que la liberté d’expression s’est considérablement améliorée en France ! Selon Reporters sans frontières, notre pays occupe désormais le 33e rang sur 180 pour la liberté de la presse. Six places de mieux qu’en 2017 et 12 par rapport à 2016. Cocorico, c’est le meilleur classement depuis 10 ans !

Pas vraiment de quoi se réjouir pourtant si l’on regarde d’un peu plus près cette étude annuelle rendue publique le 25 avril dernier qui place les pays du nord de l’Europe aux premières places. En tête du classement la Norvège suivie de la Suède, des Pays Bas et de la Finlande. Pour établir ce palmarès, l’ONG prend notamment en compte le pluralisme de la presse, la censure, les menaces pesant sur les journalistes. Elle ne mesure pas, en revanche, la qualité du journalisme, ni l’autocensure. Etonnante omission tant il est vrai que la censure est un marqueur déterminant de la liberté de la presse dans un pays. Un journaliste qui se bride n’est plus un journaliste libre.

Jusqu’aux années soixante-dix la liberté de la presse était régie par la loi du 29 juillet 1881 qui réprimait l’injure et la diffamation. La loi Pleven du 1er juillet 1972 a créé les délits spécifiques d’injure, de diffamation à caractère raciste ainsi que de provocation à la discrimination à la haine ou à la violence raciale. Le racisme qui était une opinion est devenu un délit puni de peines pouvant aller jusqu’à un an de prison et 45 000 euros d’amende. Cette loi a, en outre, autorisé les associations dites antiracistes à porter plainte et à se constituer partie civile. A la suite de la Licra d’autres associations communautaristes ont vu le jour. Elles avaient vite compris que le marché du racisme était juteux. Il convenait donc de tirer le meilleur parti de cette loi en mettant en place une véritable police de la pensée pour traquer le quidam qui se risquait hors des clous du politiquement correct. D’où une explosion de procès devant la 17e chambre correctionnelle de Paris généralement suivis de condamnations pécuniaires voire pénales contre ceux qui se rendraient coupables d’enfreindre la loi comme les journalistes Yvan Rioufol et Eric Zemmour ou des personnalités politiques comme Jean-Marie Le Pen, Robert Ménard et plus récemment Nicolas Dupont-Aignant poursuivi par la Licra pour avoir utilisé l’expression « invasion migratoire » dans un tweet.

A cet arsenal judiciaire est venu s’ajouter la loi Gayssot du 13 juillet 1990 « tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe » sur le plan pénal. Mais la controverse que suscite cette loi tient à l’ajout d’un article 24 bis à l’article 24 de la loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ce nouvel article réprime la « contestation de l’existence de crimes contre l’humanité ». Il vise bien évidemment les négationnistes. Mais certains, parmi les historiens notamment, s’élèvent contre une loi qui criminaliserait leurs travaux de recherche.

Contrôle de l’information

Ainsi, au cours des dernières décennies le législateur a-t-il multiplié les exceptions à la liberté d’expression. Et ce n’est pas fini puisqu’un projet de loi contre les « Fake news » est en préparation. Prenant prétexte de « l’existence de campagnes massives de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal du processus électoral » le gouvernement s’apprête à exercer un véritable contrôle de l’information. La loi de 1881 sur la liberté de la presse est pourtant très claire qui réprime la diffusion « de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique ».

Ce n’est pourtant pas suffisant pour le gouvernement qui prévoit une procédure judiciaire d’urgence lors des élections présidentielles, législatives, sénatoriales et européennes. Un juge pourra, sous 48 heures, « faire cesser la diffusion » de fausses informations en ordonnant le « déréférencement d’un site ou le retrait des contenus ». Il suffira pour le plaignant de saisir le juge en référé. Rien de bien nouveau jusque là ! En revanche, et cela est inquiétant, le texte imposerait un « devoir de coopération » aux réseaux sociaux ainsi qu’aux fournisseurs d’accès à internet qui devront proposer à tout internaute un moyen de signaler les « fake news ». De plus, ceux-ci devront « informer promptement les autorités publiques compétentes de toute activité de diffusion de ces fausses informations qui leur serait signalée ».

Le CSA sera aussi mis à contribution puisqu’il pourra désormais refuser de conventionner une chaine de télé contrôlée par un Etat étranger ou « sous l’influence de cet Etat » si elle est susceptible de « porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou de participer à une entreprise de déstabilisation de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses nouvelles ». Ainsi le gendarme de l’audiovisuel va-t-il voir ses pouvoirs renforcés. L’Etat aura désormais la haute main, la maîtrise complète de l’information quel que soit son canal de diffusion. Un Etat totalitaire ne pourrait rêver mieux !

Et pourtant la France a soutenu et approuvé la nomination en 1993 d’un « Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression ». Son rôle est de rassembler des informations sur les violations de la liberté d’expression, d’enquêter sur le terrain et d’adresser des recommandations aux gouvernements afin de protéger la liberté d’expression, y compris sur internet. Dans son rapport rendu public lors de la 20e session du Conseil des droits de l’homme, celui-ci recommande notamment aux Etats d’accroître la protection des journalistes sur Internet et de lutter contre l’impunité ainsi que contre les lois pénales qui réduisent la liberté des médias.

Si la loi contre les « Fake news » est votée en l’état, le Rapporteur spécial risque d’avoir beaucoup de travail avec notre pays.

Bienvenue au pays des Droits de l’homme !