De renoncements en revirements Marine Le Pen a réussi l’exploit de décourager ses propres militants. Qu’elle ne s’étonne pas, dès lors, des défections qui se multiplient au RN.
Elle peut bien fulminer, tenter de minimiser leur impact politique, dénoncer une « dérive du mercenariat ». Les ralliements ces jours derniers de Jérôme Rivière, Damien Rieu et Gilbert Collard à la candidature d’Eric Zemmour sont l’illustration du malaise profond qui règne au sein du Rassemblement national. Un malaise qui ne date pas d’hier certes mais qui s’exprime au grand jour désormais, car Marine est non seulement contestée dans ses choix stratégiques, mais sa personnalité fait aussi l’objet de critiques chez les militants.
En débaptisant le Front national pour en faire le Rassemblement national, la fille de Jean-Marie Le Pen a pris le contre-pied de son père, le fondateur du parti. Le FN de jadis faisait de sa différence avec les partis « traditionnels », le carburant de ses campagnes. Il suffisait à ses dirigeants de taper sur l’UMPS pour galvaniser les troupes. En faisant le choix de la dédiabolisation, de la normalisation de son parti, Marine Le Pen a pris un énorme risque. Elle a désespéré nombre de ses électeurs sans parvenir à se recrédibiliser auprès de l’opinion publique. Les piètres résultats des élections régionales de 2021 où le RN n’est pas parvenu à conquérir une seule région, faute d’avoir réussi à mobiliser son électorat de base, illustrent l’échec de cette stratégie. Aujourd’hui le RN n’est plus le parti anti système qui a fait le succès du Front national pendant quatre décennies. Devenu un parti comme les autres il ne fait plus rêver !
Or le rêve est intimement lié à la vie politique. Il est la condition nécessaire pour que les électeurs adhèrent à des valeurs communes. Il est porteur d’espoir pour tout un chacun de croire en un avenir meilleur pour ses enfants. Les partis politiques incarnent des idées. Ils doivent aussi se donner les moyens de les promouvoir. C’est ainsi que fonctionne en théorie une démocratie ! Encore faut-il ne pas déboussoler ses électeurs. C’est pourtant ce qu’a fait Marine Le Pen ces dernières années et particulièrement depuis la dernière élection présidentielle.
Evolution idéologique
Déjà en septembre 2016 sa petite phrase sur « l’islam compatible avec la République » avait troublé les militants frontistes. Ce n’était que le début de l’évolution idéologique de la candidate. Désormais il n’est plus question pour elle de sortir de l’Union européenne, encore moins d’abandonner l’euro, des thèmes qui avaient été pourtant des marqueurs essentiels des programmes du FN en 2012 et 2017. Le départ de Florian Philippot marque une vraie rupture. La présidente du RN ne remet plus en cause l’Union européenne sur le fond. Tout comme elle accepte aujourd’hui la CEDH alors qu’en janvier 2019, au nom de la lutte contre le terrorisme et le refus de la charia, le RN réclamait un retrait de la France de la Cour de Strasbourg qu’elle dépeignait en cheval de Troie de l’islam radical. « Il faudra que notre République se libère de cette camisole » affirmait Jordan Bardella.
Comment faire confiance à une candidate aussi inconstante politiquement ? Aux convictions d’une telle élasticité ? Qui réclame le rétablissement de la peine de mort, pour faire ensuite marche arrière en proposant de soumettre la question aux électeurs par referendum ? Qui affirme vouloir instaurer la retraite à 60 ans « à effet immédiat » avant de rétropédaler en promettant de mettre en place la mesure « d’ici la fin du quinquennat ».
Plus récemment c’est sur la question de la double nationalité que le revirement de la candidate a été le plus spectaculaire. Marine Le Pen a en effet renoncé à cet enjeu identitaire fondamental. L’abrogation de la bi-nationalité était pourtant inscrit depuis longtemps dans les programmes du FN. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les militants n’ont pas compris, à commencer par l’avocat Gilbert Collard que Marine n’a même pas cru bon de consulter. « J’ai évolué sur la double nationalité. En tant que candidate je fais des choix. Je fais ce choix, je l’assume » reconnait elle dans une interview à Libération.
Des revirements idéologiques pour ne pas dire des reniements qui ont exaspéré les militants. La candidate du Rassemblement national a sacrifié sa doctrine pour tenter de séduire un électorat plutôt marqué à gauche dont elle aura besoin, calcule-t-elle, pour se qualifier en vue du second tour. Un pari qui est loin d’être gagné tant le nom qu’elle porte est un repoussoir pour une majorité d’électeurs. Il est certain, en revanche, qu’à force de lisser son discours elle a perdu une bonne partie de sa base électorale qui se retrouve dans le projet politique d’Eric Zemmour. Qu’elle ose aujourd’hui jeter l’opprobre sur ceux qui sont partis en les qualifiant de « traîtres » est indigne ! Ils ont quitté un parti dans lequel ils ne se reconnaissent plus. C’est tout au contraire Marine qui a trahi ses idées !