Il ne sert à rien d’essayer de recoller les morceaux lorsque s’est installée la méfiance.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une abomination. Que Poutine en ait pris la décision est incontestable. Reste à savoir pourquoi ? Il est bien sûr facile pour les occidentaux de s’exonérer de toute responsabilité en ergotant sur la santé mentale du maître du Kremlin. Est-il subitement devenir fou ? s’interrogent certains faute de trouver une explication rationnelle à ce déferlement de violence aveugle qui frappe désormais toute l’Ukraine n’épargnant ni les biens ni les personnes.
D’autres croient décèler dans son comportement les symptômes de la paranoïa. Poutine se méfie de l’Otan. Il est convaincu que cette organisation militaire créée à l’époque de la guerre froide est une menace pour la Russie.
Après la chute de l’URSS, les Russes auraient reçu des Américains l’assurance verbale qu’ils ne s’étendraient pas sur les anciens pays de l’Europe de l’Est. Une promesse que les Etats-Unis vont s’empresser d’oublier. Le 12 mars 1999, la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque intègrent officiellement l’Alliance.
La Russie s’inquiète. L’ennemi est désormais à ses portes. Il lui faut mettre en place un périmètre de sécurité. Celui-ci comprend la Biélorussie, l’Ukraine, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Arctique et de la côte pacifique. Une doctrine de 2008 précise que si les intérêts vitaux de la Russie sont menacés, le pays doit employer tous les moyens pour les défendre. C’est ce qui a conduit Moscou a envahir la Crimée car la Russie allait perdre sa base navale de Sébastopol qui sécurise son accès à la mer Noire.
Casus Belli
« L’entrée de l’Ukraine dans l’Otan serait un casus belli pour Moscou en verrouillant totalement le littoral russe et en encerclant entièrement la Russie sur son front occidental » analysait Pascal Marchand dans Le Point (3 décembre 2015). Pour ce spécialiste de la Russie « Vladimir Poutine avait à l’origine l’idée d’un ensemble euro-asiatique, laquelle s’est renforcée avec les attentats du 11 septembre 2001. Les Etats-Unis avaient absolument besoin de la coopération russe, car la Russie se trouvait sur la route de l’Otan vers l’Afghanistan. Et Poutine y avait également intérêt car une déstabilisation de l’Afghanistan pouvait se répercuter sur l’Asie centrale et la Russie. Mais cette ouverture a brutalement pris fin en 2004 lorsque l’UE et l’Otan ont décidé de fusionner leur expansion ». Pourquoi ? Les Américains voulaient à tout prix empêcher la formation d’un bloc Russie-Ukraine. La Russie ne peut être une grande puissance qu’avec l’Ukraine et ses 50 millions d’habitants qui lui fournit, grâce à une population très qualifiée, l’encadrement qui lui fait défaut. Washington préconisa une coordination des expansions de l’UE et de l’Otan jusqu’aux frontières de la Russie. Dès lors les Américains torpillaient le projet d’un ensemble euro-asiatique au profit d’un ensemble euro-atlantique. Ainsi, dès 2004 en Europe il ne restait plus que l’Ukraine et la Biélorussie à être restées en dehors de l’UE et de l’OTAN.
Pourquoi l’Union européenne s’est-elle mise ainsi à la remorque de l’OTAN ? Une soumission qui lui a valu d’être entraînée dans la guerre des Balkans avec ses frappes aériennes sur la Serbie qui font des dégâts collatéraux sur les populations civiles, mais surtout exaspèrent Moscou. Car la Serbie est la grande alliée de la Russie. L’opinion russe est traumatisée par les images des bombardements sur Belgrade. Et plus encore quand elle comprend que le résultat final est d’obliger la Serbie à abandonner sa province du Kosovo. Désormais l’OTAN et l’UE sont perçus comme des ennemis. La Russie s’est sentie menacée directement. En mars 2000 Poutine remporte haut la main l’élection présidentielle. Sa première décision est de renforcer les budgets consacrés à l’armée russe qui étaient en diminution constante depuis des années.
La rupture entre les pays occidentaux et la Russie est consommée. Les bombardements du Kosovo ont ranimé les vieux démons de la guerre froide. Plus question pour Poutine de faire confiance aux Européens. Qu’il est loin le vieux rêve gaullien de voir se constituer une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » telle qu’il en dessinait les contours géographiques dans son discours de Strasbourg en 1959 ! C’était l’époque de la guerre froide et de l’affrontement Est-Ouest. Il fallait trouver une solution à ce conflit afin de réunifier le continent européen dans son ensemble. On dit que l’histoire ne repasse pas les plats. Soixante-trois ans plus tard on a pourtant l’impression de revenir à une époque que l’on croyait à jamais disparue !