Sarkozy: la justice prend sa revanche sur la politique

Certains s’en réjouissent, d’autres s’en inquiètent, la justice ne manifeste plus aucune complaisance avec le monde politique comme on le voit avec la lourde condamnation de Nicolas Sarkozy par le tribunal judiciaire de Paris.

Pendant très (trop) longtemps la Justice est apparue comme soumise au pouvoir. Les élites, de gauche comme de droite, jouissaient d’une scandaleuse impunité. Dans la plupart des affaires les juridictions rendaient des ordonnances de non-lieu. S’il arrivait que le prévenu comparaisse devant le tribunal, il était bien souvent relaxé ou condamné à une peine de prison avec sursis. Les choses, en fait, n’avaient guère changé depuis l’époque ou Jean de la Fontaine avait écrit sa fameuse sentence : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir ». C’était sous le règne de Louis XIV, le Roi-Soleil, le tout puissant monarque de droit divin qui, comme ses prédécesseurs sur le trône de France se voulait le représentant de Dieu dans le royaume. Et toutes les décisions de justice étaient rendues en son nom.

Avec l’avènement de la République s’est posée la question de la séparation des pouvoirs et donc de l’indépendance de la justice. Condition essentielle d’un Etat de droit elle doit permettre aux citoyens d’obtenir un jugement impartial et équitable. « Le président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » stipule l’article 64c de notre Constitution. La révision de 2008 a apporté de nouvelles garanties à l’indépendance de la justice en retirant au chef de l’Etat certaines prérogatives comme celle de présider le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Mais la question de la place du parquet dans l’ordre judiciaire et de sa dépendance vis-à-vis du ministre de la Justice n’a toujours pas été résolue.

Réquisitoire sans concession

La condamnation de Nicolas Sarkozy a trois ans de prison dont un ferme pour corruption et trafic d’influence dans « l’affaire des écoutes téléphoniques » vient rappeler que nul n’est au-dessus de la loi, pas même un ancien président de la République. Dans un réquisitoire sans concession, le représentant du PNF (parquet national financier) avait lancé : « La République n’oublie pas ses présidents, ne serait-ce que parce qu’ils font l’Histoire. A l’inverse on ne peut pas admettre d’un ancien président qu’il oublie la République et ce qu’elle porte depuis plusieurs décennies : un Etat de droit ».

Chacun interprétera à sa manière cette décision de justice qui est une première, sous la cinquième République, pour un ancien chef de l’Etat. La droite est stupéfaite et sonnée par la sévérité de cette condamnation. Ses dirigeants ne s’attendaient pas à un tel coup de massue tant ils s’étaient convaincus que « l’affaire ne reposait sur rien ». Pour le polémiste Eric Zemmour, il s’agit d’un règlement de comptes, car « Sarkozy avait humilié les magistrats » les traitant de « petits pois bien alignés ». D’autres dénoncent un « procès politique », voire un « acharnement judiciaire » et demandent la dissolution du parquet national financier. Beaucoup estiment que « la peine est totalement disproportionnée ». Nicolas Sarkozy et ses deux co-accusés ont fait appel du jugement. A suivre !

C’est en décembre 2013 que François Hollande avait décidé de créer le PNF suite au scandale politico-financier mettant en cause Jérôme Cahuzac, alors ministre du Budget. Objectif de cette nouvelle institution judiciaire : « lutter de manière déterminée contre toutes les formes de fraudes et d’atteintes à la probité portant atteinte tant à la solidarité nationale qu’à l’exemplarité de la République ». Le champ d’intervention du PNF est étendu. Il ne se limite pas à « traquer la grande délinquance économique et financière » comme il se voulait à l’origine.

Une bonne dizaine de procédures

Tous les puissants, quelle que soit leur position dans l’échelle sociale, sont prévenus. A tout moment le procureur national financier peut décider de diligenter une enquête sur des faits présumés, comme ce fut le cas en 2017 pour François Fillon, en pleine campagne pour l’élection présidentielle. A l’époque déjà on accusa le PNF d’avoir « torpillé » la candidature de l’ancien Premier ministre, candidat de la droite à la magistrature suprême. Fallait-il, pour autant, accuser cette institution d’arrière-pensées politiques, comme c’est aujourd’hui le cas pour Nicolas Sarkozy, candidat potentiel à la prochaine présidentielle ? La côte de popularité dont jouit l’ancien président de la République auprès des électeurs de droite peut-elle tout excuser ? Depuis dix ans son nom apparaît régulièrement dans la chronique politico-judiciaire. Il est cité dans une bonne dizaine de procédures.

Sans remonter à la mystérieuse affaire Clearstream où le futur président se présentera comme victime d’une machination, c’est dans l’affaire Bettencourt qu’il est sur la sellette, soupçonné d’avoir bénéficié de l’argent de la veuve du fondateur de l’Oréal pour le financement de sa campagne présidentielle de 2007. Mis en examen pour abus de faiblesse en mars 2013 il bénéficiera d’un non-lieu en octobre de la même année. Il sera aussi mis en examen dans l’enquête sur le financement libyen de sa campagne de 2007. Prochain rendez-vous avec la justice, le 17 mars où il est poursuivi dans l’affaire Bygmalion, en même temps que dix autres prévenus, pour les dépenses excessives de sa campagne de 2012. Un procès prévu pour durer jusqu’au 15 avril. Sarkozy n’avait sans doute pas imaginé que la justice occuperait à ce point sa retraite !