Il n’y a pas de fatalité à la guerre. Les conflits entre nations naissent de frustrations, d’ambitions déçues ou d’humiliations subies.
Le monde assiste stupéfait et horrifié au pilonnage des villes ukrainiennes par l’armée russe. Images insupportables, insoutenables d’une guerre qui frappe durement les civils. Comment ne pas se sentir solidaire de ces familles qui fuient leur pays devenu en quelques jours un enfer ? Vladimir Poutine est montré du doigt. Est-il devenu subitement fou ? L’était-il déjà ? Certains affirment que le maître du Kremlin est atteint de « paranoïa », d’autres décèlent dans son comportement les symptômes de la schizophrénie. « Il en coche toutes les cases » ne craint pas d’affirmer Pascal Praud sur Cnews.
Personne (ou presque) ne s’attendait au déclenchement de cette guerre entre ces pays slaves culturellement si proches par la langue et par l’histoire. Certes depuis quelques semaines tant les Américains que les Européens nourrissaient des craintes. D’importantes concentrations de blindés russes étaient observées à proximité des frontières de l’Ukraine. Mais Moscou s’employait à rassurer les chancelleries occidentales. Aussi le monde fut-il frappé de sidération en apprenant que les chars russes avaient pénétré en Ukraine. Vladimir Poutine ne cachait pas que le but de cette offensive était de chasser le «régime fantoche » du pouvoir. « La Russie a tout à fait le droit de prendre des contre-mesures pour assurer sa propre sécurité » se justifiait le président russe.
Car pour le maître du Kremlin, la volonté d’adhésion de l’Ukraine à l’Otan est un casus belli. Il considère que l’Ukraine fait partie de sa sphère d’influence. Il a besoin d’un cordon sanitaire autour de la Russie. La sécurité de son pays est sa priorité. Ses exigences, il les a fait connaître en décembre dernier aux Américains et aux Européens : pas d’extension de l’Otan à l’est de l’Allemagne, neutralisation de l’Europe centrale et orientale et retrait d’Europe des armes nucléaires américaines.
Il soupçonne l’Otan de vouloir déployer des missiles en Ukraine, voire d’envahir la Crimée. Le climat de méfiance qui s’est instauré rappelle l’époque de la guerre froide entre Washington et Moscou. L’effondrement de l’empire soviétique dans les années 90 n’a pas modifié les rapports de force. « La Russie et l’Occident n’ont pas réussi à établir une relation de qualité, regrette l’historien Andreï Gratchev, ancien porte-parole de Mikhaïl Gorbatchev… Au cours de ces années ils sont devenus des concurrents, puis des rivaux et enfin des adversaires ».
Les Occidentaux ont tenu la Russie à l’écart du concert des nations. Le modèle occidental avec ses valeurs et ses principes démocratiques s’est imposé dans les pays autrefois soumis à la dictature communiste. Pour l’ancien officier du KGB qu’est Vladimir Poutine la disparition de l’URSS a été une catastrophe. Alors que l’Occident fêtait dans la joie en 1989 la fin du monde de Yalta, lui ressentait une immense tristesse. Un sentiment de défaite. Une humiliation. Depuis lors il ne cesse de ruminer le traumatisme de la grandeur perdue de son pays. Il est obsédé par l’idée que l’Otan avance ses pions partout en Europe dans le seul but de mettre la Russie à genoux.
Comment pourrait-il dès lors accepter que l’Ukraine lorgne vers l’Europe jusqu’à accueillir sur son sol des bases militaires américaines ? Par le passé l’Otan a déjà intégré dix anciens pays du pacte de Varsovie que le maître du Kremlin a vécu comme autant de trahisons. Alors pas question pour lui de laisser l’Ukraine, ce pays frère, s’affranchir de la tutelle de Moscou. « Une Ukraine démocratique menace de facto Poutine, explique le politologue américain Francis Fukuyama. Elle n’est pas périlleuse pour le peuple russe, mais pour l’idée que se fait Poutine d’une incompatibilité consubstantielle entre la démocratie et les peuples slaves… Le succès d’une Ukraine démocratique et son désir de rejoindre l’Europe laissent penser qu’une évolution similaire est possible en Russie, ce qui sonnerait le glas de Poutine et du poutinisme ».
Car le rêve secret de Poutine n’est-il pas de reconstituer l’ancien empire soviétique ? Joe Biden en est persuadé. « Poutine a des ambitions bien plus grandes que l’Ukraine, assure le président américain. Il veut rétablir l’ancienne Union soviétique ». L’émancipation de l’Ukraine porterait un coup d’arrêt fatal à ce projet. Car l’exemple Ukrainien pourrait être suivi par d’autres pays, aujourd’hui neutres comme la Finlande ou la Suède, tentés de se mettre à l’abri du bouclier de l’Otan.
Nous sommes à un moment charnière de l’histoire du monde. Une situation qui n’est pas sans rappeler de sinistres précédents comme l’invasion et l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en mars 1938. Le rêve d’Hitler était de réaliser la Grande Allemagne en intégrant les régions germanophones. Mais à la différence d’Hitler qui sera accueilli triomphalement à Vienne, Poutine est l’objet d’un rejet massif par les ukrainiens qui ont pris les armes pour combattre l’armée russe.
Il est encore trop tôt pour préjuger de l’issue de cette guerre qui risque d’être longue et coûteuse en vies humaines pour chaque camp.
Le maître du Kremlin se sent investi d’une « mission historique ». Rien ne le détournera de ses objectifs. Poutine a banni le mot « regret » de son vocabulaire.