En évoquant l’existence d’un cabinet noir à l’Elysée lors de l’Emission politique sur France 2 du 23 mars, François Fillon a jeté un véritable pavé dans la mare. Ce cabinet existe-t-il ou est-ce un fantasme ?
Depuis des semaines le vainqueur de la primaire de la droite et du centre est persuadé qu’il est victime d’un complot. Un complot visant à le « tuer » si ce n’est physiquement, du moins politiquement. Le pouvoir évidemment jure qu’il n’y a pas de cabinet noir à l’Elysée. « Il y a juste un cabinet » se défend Hollande rouge de colère, comme s’il était pris la main dans le sac.
Un démenti qui ne trompera néanmoins personne. L’espionnage des opposants politiques, en vue de les déstabiliser pour conserver le pouvoir, se pratique en France comme partout dans le monde. Et ce depuis toujours. Sous la Ve République, tous les présidents ont été accusés d’avoir mis en place des systèmes d’écoutes téléphoniques.
Interrogé au début de son premier septennat sur l’existence d’un cabinet noir à l’Elysée, François Mitterrand s’était fâché contre les journalistes : « C’est une polémique fabriquée, inventée… Il n’y a pas de service d’écoute à l’Elysée. Il ne peut y en avoir ! » affirmait-il péremptoirement. Las, quelques années plus tard on apprenait que la « cellule élyséenne » dirigée par le commandant Christian Prouteau et son adjoint le capitaine Paul Baril avait bien été chargée de 1982 à 1988 de mettre sur écoutes nombre d’avocats, de journalistes et d’hommes politiques. Mais aussi d’organiser quelques coups tordus comme l’affaire dite des « Irlandais de Vincennes », ou le sabotage du Rainbow Warrior, bateau de Greenpeace, par des agents de la DGSE.
Traquer les opposants pro-Algérie Française
La droite n’a rien à envier à la gauche dans ce domaine. Dès les débuts de la 5e République les hommes de l’ombre qui agissent avec la bénédiction du ministre de l’Intérieur Roger Frey sont à la manœuvre pour traquer les opposants pro-Algérie Française pourchassés non seulement en France, mais aussi dans toute l’Europe.
On ne peut prononcer le nom de Charles Pasqua sans penser aux opérations commandos menées par les gros bras du SAC (service d’action civique) dont il est un des fondateurs avec Jacques Foccart, secrétaire général de l’Elysée, l’homme de confiance de De Gaulle qui sera désigné comme responsable de la mort suspecte en 1979 de Robert Boulin, ministre du travail, dans le film « Crime d’Etat » (2013).
Le gaullisme c’est aussi les fameuses polices parallèles. Ces officines barbouzardes composées de flics, de truands et de mercenaires vietnamiens aux ordres de Lucien Bitterlin. Agissant hors de tout cadre juridique, elles arrêtent, emprisonnent sans jugement et torturent à mort les activistes de l’OAS (organisation de l’armée secrète) tant en Algérie qu’en France métropolitaine.
Il arrive parfois que les coups tordus soient découverts. Ce fut le cas en décembre 1973 avec l’affaire des faux plombiers du Canard Enchaîné . En fait des agents de la DST surpris par un dessinateur du journal alors qu’ils venaient poser des micros sous le parquet des locaux de l’hebdomadaire satirique. Le palmipède espionné ! Un comble tout de même !
Sous Chirac, c’est Yves Bertrand, patron des Renseignements généraux de 1992 à 2003 qui sera soupçonné d’avoir constitué un cabinet noir au profit du chef de l’Etat. Rien des faits et gestes de Lionel Jospin, Charles Pasqua, et Nicolas Sarkozy n’échappait à l’étroite surveillance dont ils faisaient l’objet.
Hollande a-t-il lui aussi son cabinet noir ? La lecture du livre Bienvenue place Beauvau sur lequel s’appuie François Fillon pour lancer son accusation n’en apporte pas la preuve formelle. Nombre d’indices troublants portent cependant à croire qu’il ne s’agit pas d’un fantasme. Les réseaux d’influence réunissant hommes politiques, hauts fonctionnaires, journalistes, policiers, banquiers, magistrats et hommes d’affaires sont une réalité dans notre pays. C’est d’ailleurs ce qui a incité six responsables des « Républicains » à porter l’affaire devant la justice pour demander l’ouverture d’une enquête.
François Fillon est, lui-même, tellement persuadé de l’existence de ce fameux cabinet qu’il n’avait pas hésité, on s’en souvient, à demander à son ami Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Elysée et homme clé du système, de faire accélérer les procédures judiciaires concernant Nicolas Sarkozy son adversaire potentiel.
La révélation de l’affaire avait mis fin aux relations d’amitié qu’entretenaient les deux hommes.